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ça va saigner
1 novembre 2010

Incinération vs Inhumation

CBook_BRC'est la Toussaint et le Jour des Morts qui viennent de passer, mine de rien, lecteur halloweené de frais. C'est important de se recueillir sur les tombes de ses défunts chéris ou bien sur l'urne funéraire du pépé qui trône sur la cheminée, entre la poupée en robe espagnole tricotée avec des troncs d'arbres que tu as gagnée à la dernière fête foraine et la gondole clignotante rapportée par Tonton Robert en souvenir de Venise où il avait emmenée sa bergère pour lui redire à quel point il avait apprécié sa joie enfantine quand il lui avait avoué ne l'avoir jamais trompée, même pas avec sa collègue de bureau Marilyne dont le parfum tenace et répulsif avait pourtant imprégné ses chemises pendant quelques semaines.

C'est comme ça, avec l'urne, ça fait partie du quotidien, tu finis par plus la voir, comme ta Germaine qui change de couleur de cheveux tous les mois pour voir si tu vas enfin la regarder autrement que comme le canapé ou le lampadaire. Tu aurais une tombe dans ton living, ce serait pareil. Tel que je te connais, lecteur farceur, tu t'en servirais comme table basse et tu y allongerais tes jambes fatiguées. C'est pourquoi on range les tombes dans des cimetières et que le 1er novembre est férié. Tu pensais quand même pas y aller après le boulot ou pire, pendant le boulot. Il te faut un jour rien que pour ça. Après, c'est tranquille, plus besoin de penser à celui qui bouffe les pissenlits par la racine.

Tout est question de choix, lecteur qui bouge encore. Moi, j'ai déjà choisi mon habitat post mortem. Toi-même, lecteur prévoyant, tu n'hésiteras plus après le récit de l'incinération de ma grand-tante Célestine. Avant de s'éteindre, elle avait opté avec feu pour la crémation car celle qui fut femme de chambre au Negresco dans les années 20 avait toujours su rester modeste, elle et surtout sa bourse. Tu ris, mais sache que ce système est bien moins onéreux que l'inhumation, dont les frais de concession et  de tombe finissent de manger l'éventuel pécule laissé par un défunt assez gonflé de suffisance pour encombrer nos arpents sans se soucier que le Japon n'a même pas la place pour faire pousser trois patates. Mais Célestine n'était pas de cette race de rupins égocentriques, non. Elle était drôle et pétillante, même à 92 ans, et nous donna en mourant une vraie leçon de savoir-vivre.

Imagine, lecteur futur défunt, le decorum  d'enfer que tu vas offrir à ta famille et tes amis pour honorer ta dépouille. Ton cercueil trône au milieu d'une sorte de salle de réunion, avec sièges en plastique et tableautins aux murs représentant des couchers de soleil. Si. Avant d'entrer, tes invités ont le droit d'en griller une, mais les cendriers sont pleins et il faut éviter de shooter les gobelets en plastique qui jonchent le sol du funérarium. Des types revêtus d'un habit noir et violet de petite confection convient tes parents et alliés à prendre place au son de Beethoven. Vu de ton cercueil, lecteur mort, ça en jette. Tu comptes les amis qui sont venus, tu t'étonnes de ne pas voir certains. Ce que tu peux être naïf !

Un des types costumés prend la parole pour dire que ça va bientôt commencer et se succèdent une série d'éloges funèbres des plus touchants, sur du Rondo Veneziano. Tu es scié d'apprendre à quel point tu as été un mec bien. De ton vivant, on t'aurait plutôt fait passer pour un gros con. Tu essuies mentalement une larme de reconnaissance. 

Le gars déguisé ouvre le rideau violet qui laisse apparaître une porte en fer vitrée. Ton cercueil est parfaitement dans l'axe, sur ses deux rails. D'un coup, le mécanisme se met en branle et toi aussi. La porte coulisse vers le haut et ton cercueil avance dans un bruit de ferraille qui couvre bien Mozart. Tu en vois certains qui ricanent, d'autres qui sursautent. Tes invités ont globalement du mal à se concentrer. Un des types du funérarium actionne les aiguillages car ta carlingue pourrait changer de direction au dernier moment. Mais non. A y est, le préchauffage est fini. La porte redescend derrière toi dans un grand claquement. C'est un four à gaz. Une allumette et c'est parti pour 5 minutes thermostat 8. Te voilà réduit à peu de chose. Laissez refroidir et servez sans attendre. 

J'ai aimé cette crémation, agrémentée d'une bande-son originale de bruits de machinerie et de ferraille, du plus bel effet. J'ai aimé le raffinement des loufiats et le joyeux bordel du lieu qui évoquait plus la cafeteria que le funerarium, allégeant d'autant la peine de ceux qui restent.

Et ça, tu l'as pas avec l'inhumation. Tu ne peux espérer te gondoler qu'à la messe ou prier pour qu'un croque-mort soit victime de tes farces. Mais comme tu es un homme mort, tu ne peux pas tout faire. Sauf quand ta puissance mentale fut telle sur cette terre que tout t'est encore permis et que tes contemporains te pleurent en riant. (cf. "L'éternité c'est long, surtout vers la fin")

Autrement dit, l'inhumation c'est inhumain et l'incinération c'est bien.

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Commentaires
L
Hiiii ! la gondole de Venise avec ses loupiottes... morte de rire ! j'ai joué avec ce truc (en cachette) tant de fois ! c'était là, à l'intérieur du buffet, sur les étagères poussiéreuses, à servir à rien, alors que c'était si joli, si interdit...<br /> <br /> Trêve de plaisanterie, yes, vive le feu ! Mais avant je veux donner mes organes (s'il en reste des bons...)et ça fait râler ma mother, qui s'imagine qu'au moindre pépin, les docteurs sans lutter me déclareront perdue dans l'espoir de prélever mes organes...<br /> <br /> Et bien entendu, encore un "bravo" pour l'auteure de cet article, génie incontestable et incontestée du maniement de la langue.<br /> (sans jeu de mots pervers.)
Q
@eliza : mais Duguesclin, elle adore être la cible de mes traits.
Q
Waha, Marie, toujours en verve, dis donc ! Comme l'un seul avait déteint, l'autre s'était mis à dégorger. C'que les tiques sont tenaces, cette saison ! Ok je sors. <br /> Sinon, très contente de te retrouver sur la Toile, pour rire un peu en attendant la mort.
B
Le seul moyen de s'éteindre deux fois ! Bien vu ! Coucou Belle Indécente ! Me revoilou parmi les fêlés du beau cal ... Et, of course, comme une seule femme, je repris dare-dare le chemin des déblogueurs à donf ... et ben je ne fus certes pas déçue ! Toujours un os à ronger ! ici on risque pas de se faire suaire ...
E
Si si très drôle mais un peu duraille rapport à Duguesclin !!!
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