S comme Sauvetages
Ssss...Ssss...Ssss...Ssss... S comme soleil, pastis, baignade. C'est la saison, sauf que ce n'est pas au Sud que j'ai garé mes abattis fatigués pour quelques jours. Aucune grande bleue bordée de sable fin et noir de monde, aucune chaleur accablante ne dessine le décor de mes vacances. Pas de garrigue, mais des alpages. Pas de touristes, mais des chèvres, des biquettes, des vaches, des ânes et des canassons. Pas de cigales frimeuses, mais des grillons discrets, encore que l'autre soir, celui qui s'est perché sur le mur de la terrasse, avait un ampli et un micro. Pour nous donner une aubade perso, rien que pour nous 2, mon chéri et bibi, alias Ze Pouss', alias Le Poussin, surnom donné par mon tendre quand j'abandonnais le look skin (voir "La Moumoutte qui jappe") pour une repousse blond platine jaune poussin grand genre. Mon cher et tendre aime les bêtes mais il ne faut pas trop l'embêter. Or le grillon qui s'était invité sur la terrasse avait mis les manettes à fond et se frottait les côtes comme un sourd, produisant ce son délicieux et évocateur de cliché provençal à 3 Francs.
Ayant chaussé mes lorgnons et allumé la lanterne, je repérais le petit cymbaliste agrippé à l'angle du mur et du toit. Je constatais avec un soupçon d'inquiétude qu'il semblait avoir beaucoup trop de pattes, d'autant que j'apercevais difficilement son corps, en dépit d'une couleur absinthe fluo qui me donna soif. Je repris un 5è pastis (oh ça va, hein, les miens sont transparents comme l'eau claire). Je scrutais de nouveau le criquet mais ne parvins pas à faire la netteté malgré le pastaga et les lunettes. Préférant ma lâche ignorance, lassée, j'éteignis la lumière. Le grillon s'arrêta illico. Je rallumais, le grillon reprit. C'est bien ce que je pensais, ces bestioles sont branchées. Regardez, doux seigneur, comme la nature est étonnante ! dis-je à mon tendre. "Ce grillon que vous fustigez est une merveille technologique". "Certes, je vous l'accorde, ma douce" répondit mon mousquetaire, alias D'Artagnan, rapport à sa moustache et sa crinière blanche (non, je ne vis pas avec un cheval âgé). "Ce n'est pas le son produit par ce gadget qui me dérange, c'est que je ne voulusse point qu'il entrât dans la maison, comme le fit cet oiseau ce matin même" poursuivit cet être exquis et prévoyant.
Il est vrai qu'il eut du mal à le reconduire à la fenêtre, pourtant large et béante, l'oiselet charmant égaré un moment dans nos pénates. Après mes résultats mitigés dans le sauvetage d'oiseaux en difficulté (voir "Marcia"), et vu la propension idiote de ce volatile à préférer les plafonds, multiplié par ma taille inversement proportionnelle à mon amour pour les bêtes, je me retrouvais sur le banc de touche à observer comment mon gaillard d'avant et d'après allait s'y prendre pour remettre le petit emplumé à tête noire et blanche sur le droit chemin de dehors.
C'est trop long à raconter, je suis en vacances, dois-je te le rappeler, lecteur exploiteur ? Sache seulement que D'Artagnan a tourné en bourrique, un balai brosse et une serviette éponge à la main, perché sur un tabouret et pivotant toutes les 2 secondes pour suivre les voltiges du piaf. Si le grillon du soir s'est tenu les côtes, moi aussi, à voir mon mousquetaire préféré s'escrimer à saisir délicatement dans ses grosses mains cette merveille de fragilité et de timidité -un peu sotte, il faut bien le reconnaître- qu'est un petit oiseau perdu dans une maison. Mais soyons juste, ce fut aussi une merveille de reconnaissance, de gratitude, car la linotte rendue à l'éther d'un geste auguste par D'Artagnan, siffla un petit trille, pour dire "merci et salut".
Je comprends pourquoi mon tendre s'inquiétait de voir entrer le grillon dans la maison, car si la linotte fait sa tête, le cri quête.
P.S. renseignements pris, c'était pas une linotte mais une petite bergeronnette. Preuve :