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ça va saigner
25 janvier 2010

CHACUN SA PLACE

 

train_orient_expressLa ruée de ce retour de vacances en TGV fut à la hauteur des prédictions les plus alarmistes. Plus bardée de sacs en skaï qu’une pintade de lard fumé, il fallut se frayer un chemin vers la bonne rame et se jeter sur les dernières places libres. Très « vieille bourge du Parc Monceau » avec mon manteau à col de fourrure fausse mais remarquablement imitée, j’envoie illico Mi Broteur 2 à la recherche de sandwichs sans saveur et de bière en boîte, prévoyant une pénurie organisée en voiture 4, celle du bar, pompeuse appellation pour ce qui n’est qu’une entreprise de malfaiteurs sponsorisés.

Priant pour un prompt retour de mon puîné avec de quoi enrayer une hypoglycémie galopante, je mets mon siège en position couchette pour me remettre d’avoir rangé les bagages dans les filets, toute seule comme une grande fille percluse de crampes aux bras, lorsque se plante devant moi un jeune homme de blanc vêtu, teint olivâtre et cheveux de jais, qui m’interpelle d’une voix chantante : « Oh, Môdôme, c’est mô plôce ». 

Gni ? Qu’est ce qu’il dit, le bougre ? « Oh Môdôme, c’est mô plôce ». Ah, c’est ta place ?

«Certes, mon jeune ami, il s’agit probablement de votre place car ce n’est pas la mienne, puisqu’elle est prise par un autre passager, eu égard au désordre causé par le grand nombre de voyageurs de retour à la capitale après un repos bien mérité mais circonscrit dans une plage spatiotemporelle prédéfinie par les instances gouvernementales » lui répliqué-je avec douceur.

«Oh Môdôme, c’est mô plôce » me réassène t’il sans broncher.

«Sans nul doute, cher Monsieur, mais êtes-vous sûr que vous êtes bien dans la bonne rame ? » répondé-je avec un calme olympien.

«Oh Môdôme, c’est mô plôce » me radote-t’il avec les mêmes scansions rappeuses.

Je note que ce dialogue surréaliste laisse de marbre les passagers alentour. Pas un gloussement, rien, nada.

De la belle constance affichée par ce héraut de la diversité, je déduis qu’il a vérifié son billet et reconnais que  ce monologuiste distingué et tenace mérite bien de siéger sans conteste à l’endroit qui lui a été attribué par le Rail Français. Sauf que j’ai grand faim et que ma patience, déjà limitée en temps normal, s’évapore à plus grande vitesse que notre train. Je dois trouver une réponse qui satisfera les deux parties et me laissera mourir d’inanition en paix, car je suis exsangue.

«Ecoutez, peu importe votre place, l’important c’est d’en avoir une et j’en vois deux parfaitement libres derrière vous».

«Oh Môdôme, c’est mô plôce » me repasse Mr. Replay.

J’aime le comique de répétition, j’adore ça même. Moins en temps de pénurie. C’est comme ça, quand j’ai faim, rien ne saurait me distraire de mon estomac vide. D’un coup, la moutarde me picote les sinus et j’ai les abeilles. Je renonce donc à la pure logique, sans grand effet sur mon interlocuteur, et lui rétorque avec le même savoureux accent des banlieues: 

«Oh vas-y, toi, t’es bouché ou quoi ? ça fait une heure que tu me répètes la même chose sans rien entraver. Maintenant, si tu veux, on appelle le contrôleur pour qu’il remette tout le monde à la bonne place. Tu vas voir comme ça va lui faire plaisir de faire valser tout le wagon»

Silence de mort dans la rame. Intense et brève réflexion du jeune homme en survêtement blanc qui baisse le nez et s’éloigne, drapé dans sa stupeur.

Je me fiche de savoir s’il avait ou non un billet en règle – probablement pas- puisqu’il a filé sans demander son reste au seul énoncé du problème : le contrôleur. Bien qu’en aucun cas, je ne me sois sentie menacée par ce perroquet au babil poignant, je ne m’étonne plus que des gens puissent se faire trucider en toute quiétude, sur le rail et sous le nez de passagers aveugles, sourds et muets. Même pour rire de concert, y a plus personne, tellement tout le monde a peur ou se fout de tout.

Peu après, Mi Broteur 2 s’en revient avec le casse-croûte. Comme je suis répandue d'épuisement sur les deux sièges, le pauvre enfant me rappelle à l'ordre tendrement :  «oh Maman, c’est ma place ».

 

 

 

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Commentaires
S
;-)
B
bon moi aussi j'avais oublié un "s" à j'attends, est ce qu'on peut partager celui de steff ? Le trip mail c'est terrifiant ! tjrs peur de louper le départ du train ! on relit pas ou en traviole et hop : aussitôt tapé aussitôt cliqué, l'index devient autonome ! frénétique ! obsessionnel ! il prend ses clic et nous des claques ...
I
ni l'un nil'autre cher steff je l'ai dit plus haut c'était un messager!!
S
("tu trouveS")
S
Bon mais au final, un HERAUT, c'est un oiseau ou un contrôleur ??<br /> <br /> (@ It's me : tu trouve que sarko c'est un héros ??!!)
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