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ça va saigner
10 janvier 2010

"L'éternité c'est long, surtout vers la fin" Woody Allen

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 Ouf,  a y est, c'est bouclé ! Tout ce tintouin m'a fatigué à un point. Il avait déjà fallu m'entendre dire  par un monsieur en blouse blanche "si vous ne faites pas de chimio, dans 4 mois vous êtes mort, si vous la faites, au pire dans 6 mois, au mieux dans un an". C'était il y a un peu moins d'un an ; il avait vu juste le bougre. Oh, j'ai encaissé, pas protesté,  j'ai juste voulu résister un peu pour faire mentir ce bon docteur. Et pour faire plaisir à ma femme et à mes filles. Et aussi parce que la vie, j'aimais bien ça. Alors, je suis allé voir des grands pontes que ma fille a torturé pour qu'ils trouvent la solution miracle, qu'ils fassent l'impossible. Mais je n'avais pas envie de me faire charcuter et de toutes façons, mon état d'hémiplégique de longue date ne l'aurait pas permis. J'ai donc sagement suivi une première série de chimio qui s'est révélée efficace, m'a remplumé tant et si bien qu'autour de moi, l'espoir était revenu et que les prédictions fatales annoncées semblaient un mauvais rêve. Je savais pourtant que l'issue n'était que retardée. D'ailleurs, la seconde série de chimio a bien montré ses limites avec un scanner dont j'ai décrété d'office qu'il était très bien. Mon entourage ne pouvait que se conformer à mon avis et faire comme si j'avais raison. Cela permettait à tout le monde de rester positif et de garder à mon endroit la plus douce des attitudes face à l'adversité : faire front, rester joyeux, continuer comme si de rien n'était. Oh je sais bien qu'au fond de leur coeur, l'angoisse était tapie, sournoise, tentant des échappées pour régner en maître. Mais mon petit monde a su se tenir ! 

C'est curieux, mon état s'est brutalement dégradé. Il a fallu recourir à l'hôpital pour que je ne dépérisse pas de déshydratation, vu que je ne pouvais plus rien ingurgiter sans restitution immédiate. J'ai pas aimé ça du tout : on a sa diginité. En plus, j'avais un hoquet qui ne voulait pas céder et ça, c'est d'un fatiguant et d'un grotesque. Heureusement, ça n'a duré que 3 jours, à partager une chambre délabrée avec un malheureux aussi jaune qu'un tournesol, affligé de surcroît de deux larges dents de devant qui lui donnaient vraiment l'air d'un Chinois de BD genre Lucky Luke. Il était gentil mais quand il prenait ses repas (le veinard), ça faisait des bruits si bizarres qu'on avait l'impression qu'il rendait. Pardon pour les détails peu ragoûtants mais c'est moi qui y étais, pas vous, alors hein. C'est pas que j'étais mal soigné, c'est juste que ma fille râlait parce que les prises de courant ne marchaient pas toutes : fallait choisir entre le lit électrique et la perf. On était rationné en chaises visiteurs et il n'y avait qu'une intimité relative, partagée avec les visiteurs du Chinois.

Ma chère femme a pris les choses en main et a organisé mon retour à la maison deux jours avant Noël. L'HAD (hospitalisation à domicile), c'est une invention fabuleuse et je remercie au passage les charmantes infirmières qui se sont relayées à mon chevet et ont épaulé mes filles remarquablement. Je n'étais pas brillant mais heureux de retrouver ma belle chambre dans laquelle je n'étais jamais seul la nuit, mes chères filles ayant dormi à mes côtés tout le temps. J'avoue que j'en étais rassuré et que le petit matin où je me suis fait la belle, elles étaient là, m'embrassant, me cajolant, me donnant de douces consolations auxquelles j'ai répondu par un soupir de soulagement. J'étais dans les choux depuis deux jours, après avoir fait montre d'une animation retrouvée, papotant assez gaiement et buvant ma dernière goutte de champagne avec les miens à minuit. Le 1er dans l'après-midi, j'ai eu besoin de calmants à plus haute dose. Le prix en fut un coma profond. Cela n'a pas empêché mes bavardes de filles de  passer de longs moments à me dire tout le bien qu'elles pensaient de moi, à me décrire la photo d'un dessus de marqueterie réparé à merveille par mes ébénistes, mais aussi à lâcher prise, à oser évoquer devant moi qui ne pouvait plus leur répondre, le passage qui m'attendait bientôt et allait m'emmener auprès de tous ceux que j'aimais et m'attendaient. Quant tout fut dit et fait, j'avoue que ça m'a reposé : plus de respiration encombrée, plus de douleurs, plus rien qu'une paix bienfaisante. Elles se sont rendues compte que j'en avais terminé, ont versé des larmes de crocodile, mais j'étais heureux de ne plus leur infliger  ma déchéance. Elles ont été drôlement fortes, ces dames.

Après ça, un type est venu m'embaumer et on m'a placé dans un cercueil pas trop laid qu'on a installé au beau milieu de ma collection d'objets et meubles. Vu de dessus, ça rendait bien, je le reconnais ! Elles n'ont pas oublié de me chausser de ma vieille paire de lunettes et orner ma boutonnière de ma jolie médaille pour services rendus aux arts. Le jour de l'enterrement, je me suis dit que ça suffisait, ces larmes et ces hommages vibrants, qu'il fallait rester décents et comme l'a si bien raconté ma petite-fille Titch, je n'ai pas pu m'empêcher de leur faire la blague éculée mais libératrice du cercueil coinçé dans l'ascenceur avec un croque-mort complètement plié sous le joug. On m'impute d'autres blagues ce jour là, mais je n'y suis pour rien : l'organiste était âgé, il faisait froid et ses doigts étaient gourds. Quant à la corde, c'est vrai que j'ai un peu aidé au coinçage, car je n'aime pas  les caveaux autres que viticoles.

À la bonne vôtre et bonjour chez vous !

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Commentaires
O
que dire... ? que c'est achtement bien que titcheur, toi (mince on se tutoie ?) et les broz and co soyez armés de cet humour redoutable qui fait que finalement "on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui" !<br /> Et si, par hasard, au cas ou, éventuellement, cela n'empêchait pas de gros chagrins eh bien... on peut prendre le problème par tous les bouts et faire bonne figure mais... saloperie de chagrin qui nous fait parfois perdre notre sens de l'humour !<br /> Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort parait-il.
Q
@Papa : je suis rentrée chez moi, je veux te voir et c'est plus possible. Alors, je vais retourner chez toi et chez maman. j'ai le bourdon.
Q
@UneChambreàMoi : l'émotion bridée par la dérision, tout est là. Sinon, c'est épanchement (de synovie) et entorse au bon goût.<br /> @bulle de vie : merci et j'espère surtout que ça l'a fait sourire...
B
Très bel hommage chère Queen Mum... j'ai lu la version Titcheur aussi ! Les chiens ne font de chats... Et Mr votre papa/grand'papa doit être fier de vous ! Courage...
U
j'arrive après la bataille. On ne peut pas ne pas reconnaitre que l'humour, dans des moments aussi tragiques, apporte beaucoup d'émotion et d'humanité.<br /> L'humour et l'esprit touchent vraiment, ils laissent s'exprimer la sensibilité!<br /> très bon texte, donc.
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